Navigateur Autochtone: Innover dans l’éducation autochtone à travers le mécanisme de micro-financements

L’éducation est-elle un thème important pour les peuples autochtones ?

Ce rapport présente les expériences vécues par les peuples autochtones lors de la mise en œuvre de projets pilotes visant à répondre aux besoins éducatifs qu’ils ont eux-mêmes identifiés par le biais du mécanisme de micro-financements du Navigateur Autochtone. Il illustre comment le cadre de travail du Navigateur Autochtone a été utilisé afin de créer un outil de collecte de données permettant de suivre les progrès accomplis dans la réalisation des droits humains des autochtones et des objectifs mondiaux – les Objectifs de développement durable (ODD) – et comment, sur la base de ces données et avec l’aide financière et technique du mécanisme de micro-financements, les communautés autochtones ont proposé des projets qu’elles mettent en œuvre pour améliorer leur bien-être.

Le Navigateur Autochtone est une initiative fondée par un consortium international de partenaires : Asia Indigenous Peoples Pact (Pacte des peuples autochtones d’Asie, AIPP), l’Institut danois des droits de l’homme (Danish institute for Human rights, DIHR), le Forest Peoples Programme (Le programme des peuples forestiers, FPP), l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Indigenous Peoples’ International Centre for Policy Research and Education (Centre international des peuples autochtones pour la recherche sur les politiques et l’éducation, ou Fondation Tebtebba) et le International Work Group for Indigenous Affairs (Groupe de travail international pour les affaires autochtones, IWGIA). Le Navigateur Autochtone est soutenu par l’Union Européenne (UE). Depuis 2017, le consortium du Navigateur Autochtone, aux côtés de ses partenaires locaux présents dans 11 pays du monde[1], soutient les communautés autochtones dans leurs luttes pour que leurs droits soient pleinement reconnus et respectés. Le Navigateur Autochtone comprend un portail en ligne et un ensemble d’outils d’évaluation développés pour et par les peuples autochtones afin de faciliter le suivi, la mise en œuvre et la réalisation de leurs droits. Les outils proposés par le Navigateur Autochtone, développés avec les peuples autochtones, permettent ainsi de contrôler la mise en œuvre de leurs droits collectifs. Les données générées par les communautés sont par ailleurs ouvertes et disponibles sur le portail en ligne du Navigateur[2].

Les communautés autochtones et les partenaires du Navigateur Autochtone ont pu analyser les résultats de 146 enquêtes communautaires (menées entre 2017 et 2019) dûment validées, ce qui a abouti à la création de 57 projets pilotes axés sur ces données et dirigés par les communautés, sur la base de leurs propres priorités et intégrés au mécanisme de micro-financements. Financé par la Commission Européenne (CE), ce mécanisme a approuvé des projets qui abordent des questions allant de l’autodétermination à la citoyenneté en passant par l’intégrité culturelle, pour n’en citer que quelques-unes[3].

Ce rapport se consacre à la manière dont le mécanisme de micro-financements du Navigateur Autochtone soutient des solutions innovantes permettant d’améliorer l’éducation autochtone. L’éducation est le sujet central de ce travail en raison de la place qu’elle occupe dans la préservation des connaissances, de la langue et de la culture des peuples autochtones. Ce sont des sujets que le mécanisme de micro-financements du Navigateur Autochtone aide les communautés autochtones à aborder, contribuant ainsi aux projets autochtones existants et à venir aux niveaux local, national, régional et mondial. Sur les 57 projets pilotes financés par le mécanisme de micro-financements du Navigateur Autochtone, 14 sont directement axés sur l’éducation, parmi lesquels environ deux tiers concernent l’enseignement ou la revitalisation des langues. Les projets pilotes réduisent la discrimination en améliorant l’accès à l’éducation, offrent de nouveaux matériels pédagogiques culturellement pertinents pour l’enseignement bilingue et interculturel, contribuent au développement professionnel et à l’inclusion des enseignants autochtones, facilitent le transfert de connaissances entre les anciens autochtones et leurs communautés, et encouragent la reconnaissance des droits autochtones concernant l’utilisation des langues autochtones dans les systèmes éducatifs.

Ce document est divisé en deux parties. Les informations présentées dans la partie 1 sont basées sur les résultats du processus de collecte de données du Navigateur Autochtone et contextualisent le mécanisme des micro-financements, tandis que l’analyse de la partie 2 s’appuie sur les soumissions inédites des projets pilotes, les rapports d’avancement et les correspondances personnelles avec les organisations partenaires au sujet de ces projets. Cette analyse documentaire porte sur 14 projets pilotes provenant de 10 sur 11 pays participant à l’initiative : le Bangladesh, la Bolivie, le Cambodge, le Cameroun, le Kenya, le Népal, le Pérou, les Philippines, le Suriname et la Tanzanie. En outre, ce rapport comporte quatre sections consacrées aux “Tendances”, qui viennent compléter le(s) contexte(s) de l’éducation autochtone et mettent les projets pilotes en relation avec les réalités et les perspectives nationales, régionales et mondiales. Les peuples autochtones ont participé à la planification de la Décennie internationale des langues autochtones 2022-2032 et à la promotion de la cohérence entre les institutions internationales en vue de la réalisation de leurs droits humains. La première est au cœur de la volonté d’inclure les langues autochtones dans les systèmes éducatifs nationaux et de les étudier au même niveau que les langues dominantes, tandis que la seconde est susceptible d’améliorer la politique d’éducation autochtone dans le monde entier.

La phase pilote de la mise en œuvre des micro-financements du Navigateur Autochtone devait avoir lieu en 2019 et 2020. Cependant, en raison de la pandémie de la COVID-19, certains des projets pilotes sont toujours en cours en 2021. Les résultats existants indiquent toutefois que ces projets ont transformé des problèmes éducatifs majeurs en améliorations locales réelles, qui se frayent désormais un chemin vers d’autres localités et d’autres niveaux. Les autorités locales, régionales et nationales ont ainsi manifesté leur intérêt pour certains d’entre eux, et des étapes importantes ont été franchies pour les communautés en matière de revitalisation linguistique.

Lors de la création de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (UNPFII) en 2000[4], les représentants autochtones ont demandé aux Nations unies (ONU) de produire des rapports qui refléteraient la situation globale et les priorités des peuples autochtones[5]. C’est dans cet esprit que le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DAES) publie, depuis 2009, le rapport State of the Word’s Indigenous Peoples (ou SOWIP). Le premier numéro a ainsi fourni une vue d’ensemble sur certains sujets considérés comme étant prioritaires pour les peuples autochtones. Le chapitre IV était consacré à l’éducation, expliquant qu’il s’agit d’un droit humain et que les peuples autochtones n’ont pas le même accès à une éducation de qualité que leurs homologues non autochtones dans le monde.[6] Cette première édition du SOWIP a été publiée peu avant la fin des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), le premier programme mondial pour le développement publié en 2000 et qui prévoyait, entre autres, l’égalité d’accès à l’éducation primaire d’ici 2015[7]. Le chapitre du SOWIP consacré à l’éducation concorde avec les résultats finaux des OMD en matière d’éducation : si l’accès à l’éducation s’est considérablement amélioré dans le monde entier jusqu’en 2015, les peuples autochtones continuent d’être confrontés à des défis plus importants, en raison des limites des systèmes nationaux à leur fournir une éducation de base qui soit adaptée à leur culture et à leur langue.[8] 

En 2015, les OMD ont été remplacés par les Objectifs de développement durable (ODD).[9]  Parmi eux, l’ODD 4 vise à « assurer une éducation de qualité inclusive et équitable et promouvoir pour tous des opportunités d’apprentissage tout au long de la vie »[10]. L’ODD 4 comporte sept cibles, dont l’une (la cible 4.5) mentionne spécifiquement les peuples autochtones : « d’ici à 2030, éliminer les disparités entre les sexes dans l’éducation et assurer l’égalité d’accès à tous les niveaux d’enseignement et de formation professionnelle pour les personnes vulnérables, notamment les personnes handicapées, les peuples autochtones et les enfants en situation de vulnérabilité ».[11]  Prenant en compte l’ODD 4 et la cible 4.5, la troisième édition du SOWIP de l’ONU DAES a été entièrement consacrée à l’éducation.[12]  Le troisième rapport SOWIP explore chaque région autochtone du monde et effectue le suivi de ce que le premier SOWIP avait énoncé.

Les efforts et initiatives globaux relatifs à l’éducation autochtone montrent bien que l’éducation demeure une priorité majeure pour les peuples autochtones. Pourtant, comme l’indique le SOWIP, il y a d’autres problèmes plus urgents que les peuples autochtones doivent régler en priorité, comme la santé (à laquelle le SOWIP a consacré son second volume), la pauvreté ou l’environnement, droit à la terre inclus.[13] A cet égard, l’Organisation internationale du travail (OIT) a par la suite publié un rapport sur la manière dont les populations autochtones ont cherché à obtenir plus de justice sociale et d’équité afin de devenir autonomes. Bien que l’éducation n’en soit pas le sujet principal, le rapport de l’OIT est important pour ce sujet, dans la mesure où la voie vers la justice sociale, l’équité et la pleine application du droit à l’éducation pour les peuples autochtones est marquée par ces problématiques.[14]

 

Les peuples autochtones suivent activement leur situation en matière d’éducation, et plus encore, ils sont aussi activement impliqués dans les processus internationaux relatifs à l’éducation. Pour ne citer que certains exemples, l’UNPFII a soutenu la publication du SOWIP et de son troisième volume consacré à l’éducation ; les peuples autochtones n’ont cessé de poursuivre leur travail et leur activité de plaidoyer afin qu’ils soient explicitement mentionnés dans les ODD ; un point actuel de l’agenda autochtone est de favoriser la création de données désagrégées sur l’éducation qui permettrait de suivre leur situation et d’alimenter les ODD. En 2008, la Fondation Tebtebba a publié une compilation de rapports issus de réunions internationales au cours desquelles les peuples autochtones ont pu parler de la manière dont ils envisageaient le suivi de la situation de leurs droits humains. L’éducation était un thème récurrent de ces discussions, souvent accompagné de celui de l’intégrité culturelle, ainsi que de la préservation et de la revitalisation de la langue.[15]

Plus récemment, en 2016, l’UNPFII a émis une fiche d’information à propos des ODD précisant que l’Agenda 2030 pour le Développement mentionne les peuples autochtones à six reprises, notamment à l’ODD 4.[16] Par ailleurs, cette fiche indique également comment l’Agenda encadre les droits collectifs des peuples autochtones – notamment leur droit de développer leurs propres systèmes éducatifs –, la question de la sensibilité culturelle dans l’enseignement, la désagrégation des données nationales, et la coopération avec les États membres afin de progresser vers la réalisation de l’ODD 4.[17] En 2019, l’Indigenous Peoples Major Group (IPMG) a publié un document de positionnement pour le High-Level Political Forum (HLPF) au sujet des ODD dans lequel la discrimination à l’encontre des enfants autochtones ruraux en matière d’accès à l’éducation, l’absence de recours aux langues maternelles autochtones dans l’enseignement, la dévalorisation des connaissances autochtones traditionnelles, le manque de programmes d’études qui soient culturellement appropriés et les défis géographiques et financiers à la poursuite des études supérieures ont été identifiés comme constituants autant d’obstacles à la réalisation de l’ODD 4. [18] Dans l’ensemble, l’éducation est une question plus qu´importante pour les peuples autochtones, mais ils continuent de lutter pour la voir s’améliorer.

 

[1] Kapaeeng Foundation, au Bangladesh ; Centro de Estudios Jurídicos e Investigación Social (CEJIS), en Bolivie ; Cambodia Indigenous Peoples Organization (CIPO), au Cambodge ; Association OKANI, au Cameroun ; Organización Nacional Indígena de Colombia (ONIC) et Centro de Cooperación al Indígena (CECOIN), en Colombie ; Mainyoito Pastoralists Integrated Development Organization (MPIDO) et Indigenous Livelihoods Enhancement Partners (ILEPA), au Kenya ; Lawyers' Association for Human Rights of Nepalese Indigenous Peoples (LAHURNIP), au Népal ; Organización Nacional de Mujere s Indígenas Andinas y Amazónicas del Perú (ONAMIAP) et Perú Equidad - Centro de Políticas Públicas y Derechos Humanos, au Pérou ; Indigenous Peoples' International Centre for Policy Research and Education (Tebtebba Foundation), aux Philippines ; Association of Indigenous Village Leaders in Suriname (Vereniging van Inheemse Dorpshoofden in Suriname - VIDS), au Suriname ; Association for Law and Advocacy for Pastoralists (ALAPA) et Pastoralists Indigenous Non-Governmental Organization's Forum (PINGO's Forum), en Tanzanie.

[2] Romina Quezada Morales, Dialogue and Self-Determination through the Indigenous Navigator (Copenhague, Danemark: International Work Group for Indigenous Affairs, 2021), consulté le 27 mars 2021, https://www.iwgia.org/en/resources/publications/3990-dialogues-in-iwgia.html

[3] Ena Alvarado Madsen et David Nathaniel Berger, Implementing the Indigenous Navigator: Experiences Around the Globe (Copenhague, Danemark: International Work Group for Indigenous Affairs, 2020), consulté le 26 octobre 2020, https://nav.indigenousnavigator.com/images/documents-english/Reports/Reports2020/Implemeting_the_indigenous_navigator.pdf

[4] Conseil économique et social, “Establishment of a Permanent Forum on Indigenous Issues” (New York: Nations unies, 2000).

[5] Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DAES), “State of the World’s Indigenous Peoples, First Volume” (8 septembre 2009), consulté le 16 janvier 2021, https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/publications/2009/09/state-of-the-worlds-indigenous-peoples-first-volume/

[6] Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DAES), State of the World’s Indigenous Peoples (New York: Nations unies, 2009), consulté le 16 janvier 2021, https://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/SOWIP/en/SOWIP_web.pdf

[7] Nations unies, “Goal 2: Achieve universal primary education”, consulté le 16 janvier 2021, https://www.un.org/millenniumgoals/education.shtml

[8] UNESCO, Education for All Global Monitoring Report 2000-2015: Achievements and Challenges (Paris, France: UNESCO, 2015), consulté le 16 janvier 2021, https://www.right-to-education.org/sites/right-to-education.org/files/resource-attachments/EFA%20Global%20Monitoring%20Report%202015.pdf

[9] Assemblée générale des Nations unies (AGNU), “Transforming our World: 2030 Agenda for Sustainable Development” (2015), consulté le 14 janvier 2021, https://www.un.org/en/development/desa/population/migration/generalassembly/docs/globalcompact/A_RES_70_1_E.pdf

[10] Idem.

[11] Idem.

[12] Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DAES), State of the World’s Indigenous Peoples. Education. (New York: Nations unies, 2008), consulté le 16 janvier 2021, https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2017/12/State-of-Worlds-Indigenous-Peoples_III_WEB2018.pdf

[13] Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DAES), State of the World’s Indigenous Peoples (New York: Nations unies, 2009), consulté le 16 janvier 2021 https://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/SOWIP/en/SOWIP_web.pdf; Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DAES), State of the World’s Indigenous Peoples. Health. (New York: Nations unies, 2014), consulté le 16 janvier 2021, https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/03/The-State-of-The-Worlds-Indigenous-Peoples-WEB.pdf

[14] Organisation internationale du Travail (OIT), Implementing the ILO Indigenous and Tribal Peoples Convention No. 169. Towards an inclusive, sustainable and just future (Genève, Suisse: OIT, 2019), consulté le 17 janvier 2021, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_735607.pdf

[15] Tebtebba Foundation, Indicators Relevant for Indigenous Peoples: A Resource Book (Manille, Philippines: Tebtebba Foundation, 2008).

[16] Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones (UNPFII), “Indigenous Peoples and the 2030 Agenda Backgrounder” (2016), consulté le 12 janvier 2021, https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2016/08/Indigenous-Peoples-and-the-2030-Agenda.pdf

[17] Idem.

[18] Indigenous Peoples Major Group (IPMG), “High Level Political Forum for Sustainable Development 2019, Statement of the Indigenous Peoples Major Group (IPMG), GOAL 4: Quality Education for All”, consulté le 14 janvier 2021, https://www.indigenouspeoples-sdg.org/index.php/english/all-resources/ipmg-position-papers-and-publications/ipmg-statements-and-interventions/120-hlpf2019-statement-of-the-indigenous-peoples-major-group-goal-4-quality-education-for-all/file

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